Bonjour Wang Xiao, peux-tu te présenter en quelques lignes ?

Je suis né à Canton, j’ai fait mes études à Pékin et maintenant je vis à Paris. J'ai vu « Titanic » plus de 70 fois. C'est le film qui a changé ma vie si bien que j'ai attrapé un accent américain à force de le regarder. Je jouais tout le temps avec la maquette du bateau, je la mettais devant mes yeux pour simuler les plans d'un film imaginaire. Ce fut peut-être mes premiers essais de mise en scène.

Comment es-tu venu à la réalisation ?

Quand je me suis aperçu que je n'arrivais pas à mémoriser les noms des présidents de certains pays, mais que je pouvais facilement citer les réalisateurs et leurs films, j'ai décidé de m’orienter vers le cinéma.

Avec mon meilleur ami au lycée, on a commencé à acheter des magazines de cinéma avec notre argent de poche. Au début c'était pour voir les stars et les grands films hollywoodiens. On téléchargeait des bandes-annonces pour les regarder et re-regarder, parce qu’à cette époque il y avait peu de nouveaux films importés en salles en Chine, et internet était très lent. On m'a alors présenté un logiciel de montage, et j’ai commencé à monter les bandes-annonces ensemble. C'était ma première expérience de production audiovisuelle.

Puis j'ai fait ma licence en journalisme international à Pékin. Quand je me suis aperçu que je n'arrivais pas à mémoriser les noms des présidents de certains pays, mais que je pouvais facilement citer les réalisateurs et leurs films, j'ai décidé de m’orienter vers le cinéma. J'ai commencé à rencontrer des gens dans la télévision, dans le cinéma et dans l’audiovisuel sur le campus et a participer à une équipe de court-métrage en tant que script. Après le tournage, je suis rentré à la maison et j’ai annoncé à mes parents que je voulais faire du cinéma. Comme je n’avais pas trop de moyens, j’ai commencé naturellement par l’écriture, puis ensuite la réalisation.

Quel est ton premier souvenir de cinéma ?

C’était le jour de mon anniversaire, mon oncle m’avait emmené dans un vieux cinéma près de chez mes grands-parents dans le vieux quartier de Canton. C’était un film avec Stephen Chow, « Sixty million dollar man » (百變星君, 1995). On est entré dans la salle en plein milieu du film, lorsque Stephen Chow (周星馳) est transformé physiquement. Je n’avais pas compris l’histoire, mais j’étais attiré par les effets spéciaux du film (très mauvais à l’époque).

J’adorais le weekend parce qu’ils passaient deux films chaque jour

Grâce aux chaînes de télé hongkongaises à la maison, j’ai eu la chance de regarder beaucoup de films hongkongais (sur TVB) et des films hollywoodiens (sur TVB Pearl, une chaîne de TVB en anglais pour le public étranger à Hong Kong). J’adorais le weekend parce qu’ils passaient deux films chaque jour, un à midi et un à 21h30, sur les deux chaînes ! Parfois ils diffusaient même deux films intéressants en même temps, je changeais alors de chaîne toutes les dix minutes pour voir les deux films. Je me suis même disputé avec mon père, qui me demandait de faire mes devoirs, mais je lui disais : “non, c’est la seule chose que je veux, pouvoir regarder les films durant le weekend”.

Finalement, je ne suis pas allé très souvent en salles pour voir des films en Chine, parce qu’à l’époque ça coûtait cher, et les films qui passaient en salles ne m’intéressaient pas. J’aimais voir quelques blockbusters, ainsi que des films hongkongais et chinois, mais j’avais plus de choix à la télévision.

Quelles sont tes influences cinématographiques ?

J’aime la diversité du cinéma d’aujourd’hui. Sur mon blog, pendant ma licence, il y avait une phrase sur la page d’accueil : “si je dois faire un grand film, il faut le faire comme Michael Bay ; mais si c’est un petit film, il faut le faire comme Woody Allen”. A l’époque je n’avais pas vu autant de films qu’aujourd’hui. Je n’avais pas encore découvert le cinéma européen et le cinéma indépendant, donc mes connaissances étaient assez limitées.

je suis fasciné par la diversité du cinéma à travers le monde

Aujourd’hui, mon point de vue a beaucoup changé, je suis fasciné par la diversité du cinéma à travers le monde. En France j’ai beaucoup plus accès aux différents cinémas, pas seulement en salles, mais aussi par les rencontres, on m’a présenté beaucoup de films différents.

Étrangement, les films que j’ai vu ne m’ont pas encore beaucoup influencé dans mes créations (c’est mon impression). Je pense que ma façon de créer et de réaliser reste assez superficielle. Je fais toujours mes films à ma façon, avec ma propre mise en scène. Je pense qu’il faut que je fasse plus attention.

Si je devais évoquer un exemple d’influences cinématographiques, ce serait lors de mon court-métrage « But I’m a Creep ». Le cinéma de Hou Hsiao-hsien (侯孝賢) m’a beaucoup influencé. C’était un film pour la fin d’étude pour ma fac en Chine, et j’ai écrit une histoire de cliché : un garçon chinois tombe amoureux d’une fille française. On m’a demandé de chercher des films de référence, et je suis tombé sur « Le voyage du ballon rouge ». J’ai profité de cette recherche pour regarder ses films, et j’ai décidé de m’inspirer de sa mise en scène, notamment le plan-séquence. Pour être honnête c’était un essai raté, mais ce fut une bonne leçon pour moi.

Finalement je pense que je n’ai pas trop d’influences cinématographiques, je réalise à ma façon.

Comment se passe ton travail d’écriture sur les scénarios et d'où te viennent les histoires que tu racontes ?

Souvent une idée me vient quand je marche dans la rue, ou il y a un début d’une idée qui existe depuis longtemps dans ma tête et finalement je trouve la solution pour la développer. Puis j’écris un paragraphe qui raconte toute l’histoire, et ensuite les dialogues.

La serveuse perplexe dans « DiNG »
La serveuse perplexe dans « DiNG »

Maintenant que j’y pense, je m'aperçois que je commence toujours mes histoires par une situation : le poisson devient vivant dans le four à micro-ondes dans « DiNG », une fille a ses règles personnifiées dans « Tu es en avance » (你来早了), le banc où se passe des choses magiques dans « Sur un Banc… » mais rarement avec un personnage.  Je ne suis pas très fort pour créer de bon personnage. C’est pour ça que mes films peuvent être intéressants, parce qu’ils décrivent souvent une situation marrante, mais finalement, les personnages sont un peu artificiels, parce qu’il sont créés pour compléter la situation. Mes inspirations peuvent être partout. Pour moi Il n’y pas de formule pour obtenir une bonne idée pour un film. C’est pour ça que j’ai souvent peur quand je n’ai pas d’idée...

Quels sont tes sujets de prédilections et les choses dont tu veux parler ?

Plutôt des sujets qui rendent les gens heureux. Après tout, on va au cinéma pour s’amuser. J’admire tous genres de films, mais si c’est moi qui fait un film, je préfère faire quelque chose avec une énergie positive.

Une grande part de fantastique est présente dans tes courts-métrages, comment l’expliques-tu ?

Quand on est en face d’un grand écran, l’image couvre toute notre vision. Ça donne envie de croire à ce qui se passe à l’écran. L’illusion est un des buts du septième art. Ce que je voudrais partager ce sont mes imaginations et mes points de vue sur certaines choses, et afin de les montrer de la manière la plus crédible, j’ai choisi l’image et son.

Par exemple dans « DiNG », comment montrer aux gens la magie d’un four à micro-ondes ? Ou encore dans « Tu es en avance », comment rendre les règles de la gymnaste sous la forme d’un personnage ?

La gymnaste perturbée par ses règles dans « Tu es en avance ! »
La gymnaste perturbée par ses règles dans « Tu es en avance ! »

La réalité est assez dure pour tout le monde aujourd’hui, pour moi aussi. Mais quand on fait un film, si le budget le permet, c’est le moment où l’on peut faire ce que l’on veut, pourquoi ne pas montrer un monde plus imaginaire, plus drôle, plus heureux ?

Ainsi, le cinéma pour moi c’est la chance d’être hors du monde. Avant de faire de la réalisation, j’ai eu l’envie d’être comédien. Je pouvais être un astronaute, un pompier, un policier, un soldat, juste avec quelque mois d'entraînement, j’aurai été en costumes, dans des décors, et vraiment être ce personnage, sans aucun risque. Après, les choses se sont déroulées autrement, mais je suis content de rester dans ce milieu et d’avoir cette possibilité - maintenant c’est moi qui vais créer un monde imaginaire, et partager ces sentiments avec les spectateurs.  J’espère qu’un jour je pourrai avoir un budget pour faire un film qui pourra créer ce genre d’illusions.

Dans tes films, nombreuses sont les héroïnes. Ton dernier court-métrage réalisé en Chine « Tu es en avance ! » évoque même un sujet spécifiquement féminin. As-tu un intérêt tout particulier à filmer les femmes et leurs préoccupations ?

C’est une très bonne question. Même mon tout premier essai de court-métrage était sur ma mère. Peut être que je suis très influencé par mes parents. Mon père est le modèle de ma vie. Je l’admire et le respecte. Il est intelligent, éloquent, inventif et imaginative. Un de ses grands succès je pense est qu’il a rendu ma mère heureuse. Il aime ma mère, la protège, et la soutient. J’ai observé comment mon père traitait ma mère avec du charme et de l’amour, son respect envers elle, envers moi.

Le respect de mon père envers ma mère pour sa féminité, sa beauté et son charme, a construit ma représentation de la féminité

Le respect de mon père envers ma mère pour sa féminité, sa beauté et son charme, a construit ma représentation de la féminité. Elle est belle, a confiance en elle, forte, indépendante, amoureuse, généreuse, et sensible. Elle m’aime totalement, et je suis fier d’avoir une femme comme ça dans ma vie. 

De plus, quelques figures importantes dans ma vie sont des femmes : ma prof d’anglais au lycée qui m’a encouragé à améliorer mon anglais, l’animatrice d’une chaîne de télévision qui m’a suggéré de poursuivre un parcours audiovisuel, ma prof de cinéma à l’université de Pékin et quelques amies très talentueuses dans le cinéma et l’art. Hors du jeu vidéo et du sport entre mes copains, je suis plutôt attiré par cette féminité dans mon entourage.  

Après être arrivé en France, j’ai eu l’occasion de regardé beaucoup de films européens réalisés par des auteurs féminins. Je les ai adoré et me suis aperçu du pouvoir d'attraction de la féminité.

J’aime les femmes, je me sens bien avec elles, et je trouve naturel de raconter des histoires de femme dans un film, donc naturellement je mets en scène des héroïnes dans mes films. Mais après, je n’ai pas encore assez profondément exploité les sentiments des femmes ou leur psychologie. Je les prends pour raconter une situation fantastique (comme celui de « DiNG » et « Tu es en avance »), au lieu de raconter une histoire d’amour ou de famille du point de vue d’une femme. Je ne suis pas encore capable de faire ça. Je pense que je suis encore trop jeune pour faire un film profond. Il faut que j’avance encore dans ma vie pour avancer dans mon cinéma.

Après tout, pour moi, une héroïne ramène plus de sensibilité tout de suite pour un personnage dans un film.  Et comme je veux toujours montrer des sentiments positifs, je pense que si à la fin l'héroïne se trouve heureuse, les spectateurs le seront aussi. 

Si tu pouvais demain choisir une actrice chinoise pour ton prochain film, qui serait-elle ?

L'actrice Mei Ting (au centre) dans le dernier film de Lou Ye (娄烨), « Blind Massage » (推拿)
L'actrice Mei Ting (au centre) dans le dernier film de Lou Ye (娄烨), « Blind Massage » (推拿)

Je choisirai Mei Ting (梅婷). Elle n’est pas très connue internationalement. Elle est venue en France pendant un festival il y a une dizaine d’années. Je l’ai trouvé très belle (elle ressemble un peu à Marion Cotillard), et surtout je l’ai vu dans une sérié télé chinoise « Don't talk to the strangers » (不要和陌生人說話). C’est une série sur la violence domestique, elle y jouait une femme victime.

Pour moi, c’est un des rôles les plus réussis. La transformation de sa fragilité au début vers son indépendance à la fin de la série est très bien rendue à l’écran. Je ne comprends pas pourquoi elle n’a pas encore été prise pour de plus grands projets. J’aimerai bien travailler avec elle.

Tu vis actuellement en France, comment perçois-tu la Chine et son cinéma vus d’ici ?

C’est dommage que le cinéma chinois vu en France soit assez limité. Après mes études de cinéma en France, je comprends mieux cette limitation : la distribution, les entrées, les coproductions, sont tous des éléments déterminants. Depuis très longtemps le cinéma chinois est vu à travers des festivals, plutôt qu’à travers une distribution en salles. Peu de films commerciaux chinois sont vus ici, beaucoup moins que les films japonais et coréens qui eux sont déjà sortis de la sphère des films d’auteur. Leur style et leur production permettent d’attirer une certaine certaine catégorie de spectateurs européens, mais le cinéma chinois aujourd’hui reste un peu chaotique.

La qualité des films commerciaux ne correspond pas au nombre de films sortis, et encore moins à leurs possibilités d'exportation en Europe. J’aimerais bien qu’on arrive un jour à faire un film chinois qui raconte une histoire universelle avec un contexte et un style chinois, sans être un film de Kung Fu ou un film sur la gastronomie.

Si tu devais conseiller un film chinois aux lecteurs de Chine et films ? As-tu un réalisateur chinois que tu admires ?

Un film hongkongais plutôt, « Une vie simple » (桃姐, 2011) de Ann Hui. Un film touchant, drôle et positif. Ann Hui (許鞍華) est capable de diriger des stars hongkongaises et de leur faire interpréter des personnages simples, gentils et drôles. Dans son film, on voit un Hong Kong cruel et difficile à vivre, mais quand on est parmi les personnages du film on se sent bien.

Et enfin après ton dernier court-métrage « Tu es en avance ! », quels sont tes futurs projets ?

Justement je suis en pleine crise d’idée pour mon prochain projet. Mais ma copine Han a écrit une très belle histoire donc je vais travailler sur ce projet là.

 

Merci à Wang Xiao pour cette rencontre, n'hésitez pas à faire un tour sur son site et découvir l'ensemble de ses courts-métrages.

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