Yu Xiuhua (余秀华) est née en 1976 avec un handicap physique à cause d'un manque d'oxygène. Elle commence sa vie bien difficilement, dû à son handicap, et elle échoue de partout, n'étant satisfaite en rien de sa vie. A l'âge de 19 ans sa mère la marie avec un homme plus âgé afin qu'il puisse subvenir aux besoins de la famille. L'homme n'est quasiment jamais là car il part à la ville chercher du travail. La jeune fille s'occupe alors des tâches quotidiennes de la petite ferme familiale au coeur de la campagne du Hubei (湖北). A 22 ans Yu Xiuhua commence à écrire des poèmes et les publie sur internet, l'écriture semble devenir son exutoire. Un jour un de ses poèmes intitulé “Traverser la moitié de la Chine pour dormir avec toi” (穿过大半个中国去睡你) rencontre un immense succès sur Wechat (微信), l'équivalent de Facebook en Chine, notamment comme le précise une attachée de presse, parce que son contenu parle ouvertement de sexe. Elle y évoque son mari qui rentre une fois par an pour le nouvel an et veut coucher avec elle.
En Chine, internet peut permettre de révéler des talents et si la grosse machine médiatique suit, vous pouvez devenir riche assez rapidement, c'est ce qui arrive à Yu Xiuhua, lorsqu'un éditeur qu'on devine un brin opportuniste, la repère suite au poème posté sur Wechat. Dans le film les médias occupent une place importante, tantôt voyeurs, tantôt sensationnalistes, ceux-ci semblent comme des épreuves pour Yu Xiuhua qui ne s'accepte pas encore totalement, notamment à cause de son apparence physique. Mais celle-ci n'est en aucun cas timide, et elle le sait ils vont lui permettre d'accéder à la célébrité. Très lucide sur la possible éphémérité de sa notoriété, celle-ci fait le tour des plateaux de télé aux quatre coins de la Chine.
Yu Xiuhua ne semble pas avoir de tabou, évoquer l'intimité de son couple ne lui pose aucun problème, elle surprend ses lecteurs par sa sincérité. Elle dit ne jamais avoir connu l'amour, et se sentir seule, Yu Xiuhua semble ne rien avoir à cacher, ses mots touchent les jeunes femmes chinoises, et choquent ceux qui traitent sa poésie de “poésie de salope”. Pourtant même si elle raconte en détail les ébats de son mari avec d'autres femmes, Yu Xiuhua parle beaucoup d'amour, et surtout la crainte de le voir disparaitre, la crainte de voir l'être aimé s'en aller. Elle déclare par exemple préférer répartir son amour entre différentes personnes, pour qu'il ne puisse disparaitre du jour au lendemain. La poétesse cultive également un grand sens de l'humour et de la répartie, lorsqu'une jeune étudiante, lui confie j'ai beaucoup aimé “Traverser la moitié de la Chine pour dormir avec toi”, celle-ci répond, “Tu as l'air mignonne, même si tu es une fille, je veux bien essayer avec toi”. Elle n'hésite vraiment pas à être dragueuse lorsqu'un homme lui plaît, mettant ses partenaires masculins peu habitués à la chose mal à l'aise, même le réalisateur en fait gentiment les frais.
Mais dans son succès Yu Xiuhua va trouver sa liberté. Après 20 ans de mariage et de nombreuses disputes avec son mari, la poétesse devenue riche et célèbre veut demander le divorce. Même si la situation lui provoque un cas de conscience, celle-ci veut sa liberté comme pour rattraper le temps perdu. Certaines scènes du film sont d'ailleurs assez incroyables tant elles saisissent l'intimité du couple. Son mari allant jusqu'à dire face caméra que sa femme est comme un cadavre au lit. Déterminée et contre l'avis de sa mère mourante de surcroît qui craint pour la réputation de la famille, Yu Xiuhua achète littéralement sa liberté à son mari. S'ensuit alors une scène incroyable juste après qu'ils aient tous les deux divorcé à l'amiable, où ils sont comme deux partenaires qui viennent de conclure un bonne affaire.
Difficile de définir précisément Yu Xiuhua, car elle est vraiment unique. C'est une femme déterminée, bien sûr et certainement une féministe, mais c'est avant tout une femme éprise de liberté, qui malgré le succès habite toujours dans le petit village qui l'a vu naître et où elle continue d'écrire sur une petite table bancale au milieux des poules.
Ci-dessous un poème de Yu Xiuhua :
“Au printemps, je soulève la fleur, le feu et la canopée de l'arbre sur la falaise,
Pourtant, l'appel solitaire résonne encore sous la pluie,
Battant comme un outil émoussé sur les nuages du soir.
Trop tard pour aimer, je suis déjà tombé amoureux de toi.Je mords ton nom sur mes lèvres jusqu'à ce qu'elles saignent,
Mais encore, je ne parviens pas à briser le sceau noir.
Seules les parties faciles pourraient me faire rester :
Canna, papillon noir et le reflet dans l'eau.Je leur dis, bonjour,
S'il te plaît, accepte mon humble amour comme si je faisais un arc.
Mais je n'ai jamais été perplexe,
Jamais, juste comme une rivière,
Qui connaît la direction de demain même dans la nuit la plus sombre.Mais à la fin je ne peux pas me pardonner
Pour te garder si intact.
C'est mieux pour toi de ne pas connaître toutes ces illusions.
Combien de poussières dans ce monde vous aurez besoin,
Pour couvrir l'amour d'une femme,
C'est sanglant mais scintillant.”“天的时候,我举出花朵,火焰,悬崖上的树冠
但是雨里依然有寂寞的呼声,
钝器般捶打在向晚的云朵 总是来不及爱,
就已经深陷。
你的名字被我咬出血
却没有打开幽暗的封印
那些轻省的部分让我停留:
美人蕉,黑蝴蝶,水里的倒影
我说:你好,你们好。
请接受我躬身一鞠的爱
但是我一直没有被迷惑,
从来没有 如同河流,
在最深的夜里也知道明天的去向
但是最后我依旧无法原谅自己,
把你保留得如此完整
那些假象你还是不知道的好啊
需要多少人间灰尘才能掩盖住一个女子
血肉模糊却依然发出光芒的情意"Extrait du poème Vous n'avez pas vu la partie de moi étant couverte (你没有看见我被遮蔽的部分),
tiré du recueil : La lumière de la lune tombe dans ma main gauche (月光落在左手上)
Film vu lors du premier Festival du cinéma d’auteur chinois.
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