Le film en plan

Nous sommes en pleine révolution culturelle, Hu Yuyin a tout perdu, son mari, sa maison, son argent, son statut. Elle doit maintenant nettoyer les rues du village. Elle est assise sur le pas de sa porte dans le noir à coté de son balai et d’une pancarte sur laquelle sa classe sociale y est inscrite la condamne. Elle rumine ses souvenirs d’avant la révolution, son mariage, ses moments de bonheur avec son mari dont une scène explicitement sensuelle. Dans ce plan elle tombe lentement dans le désespoir et la folie. Yuyin est anéantie.

Le film en une séquence

Hu Yuyin profite à peine de sa toute nouvelle maison qu’elle reçoit la visite du chef de section Li Guoxiang. Yuyin lui offre le thé comme il se doit. On sent dans l’attitude de Guoxiang toute son assurance, elle vient lui rendre visite pour parler de quelques sujets, Yuyin est un peu stressée. Le ton est cordial, mais Guoxiang vient en fait faire une enquête auprès des habitants sur leur statut économique et politique. Les deux femmes sont à table à boire du thé, et Guoxiang commence à mentionner les différents revenus que Yuyin gagne chaque jour et conclue cette longue liste par lui dire que son revenu est équivalent à un fonctionnaire de niveau supérieur. Yuyin est nerveuse, elle sait que tout ceci n’augure rien de bon.

Cette scène est intéressante à plus d’un titre, tout d’abord elle montre la montée de la révolution au plus près, comment la pression augmente et la situation politique du pays impacte directement la population, ensuite nous sommes en présence de deux femmes, qui chacune à leur niveau ont un statut important, bien au delà de celui des hommes de leur entourage, et enfin Guoxiang n’est pas là que dans un but politique et tient ici sa revanche envers cette femme qui attire depuis toujours l’attention des hommes du village et qui lui avait fait perdre la face avant la révolution lorsqu’elle avait exigé qu’elle lui présente son permis de travail, mais soutenue par les villageois elle y avait échappé.

Le film en une idée

Adaptée d'un roman de l'écrivain Gu Hua (古华), l’histoire se joue des oppositions, à l’image de la lutte des classes telle qu’elle est orchestrée pendant la révolution. Nombreux aussi sont les renversements de situations. Avant la révolution Wang Qiushe est un personnage endetté qui ne sait que vivre sur le dos des autres, et ne cesse de mendier ses repas. Li Guoxiang est une femme cherchant à séduire, mais qui malheureusement n’a pas le succès que peut avoir Yuyin, elle se tourne alors vers sa carrière politique. Tous deux n’auront qu’une seule envie, faire trébucher Yuyin et le succès de son petit restaurant. La révolution leur donnera les moyens de leurs ambitions. Ils deviendront cadres du parti pendant que Yuyin se retrouvera au plus bas de l’échelle sociale. Le film montre aussi l’hypocrisie de la situation en mettant en opposition le couple Yuyin / Shutian dont on refuse d’officialiser le mariage et le couple vivant dans le secret Guoxiang / Qiushe se partageant le pouvoir sur le village alors que la population du village est complètement divisée.

Le film en un personnage

Yuyin, femme courageuse classée par le parti comme “paysanne riche” (富农) lors de la révolution culturelle. Son statut social et le contexte politique de la Chine de l'époque seront ses carcans, ils l'empêcheront d'épouser son premier amour et son destin sera tourmenté par la révolution et les jalousies de ses voisins. Yuyin est interprétée par l’actrice Liu Xiaoqing (刘晓庆) qui tourna une trentaine de films et autant de séries télévisées. L’actrice mise en pause sa carrière dans les années 90 pour se consacrer à la production télévisuelle et d’autres affaires. Elle produisit notamment le premier film réalisé par Jiang Wen. Par la suite elle s’autoproclama “La femme la plus riche de Chine”, mais ironie de l'histoire elle sera condamnée par le fisc chinois pour évasion fiscale.

Encore quelque chose…

L’histoire du nouveau conjoint de Yuyin, interprété par Jiang Wen (姜文) dans le film rejoint la vie du réalisateur Xie Jin (谢晋) qui fut dénoncé comme “humaniste bourgeois” et fut détenu pendant les premières années de la révolution culturelle. La fin du film avec Wang Qiushe errant dans la ville demandant un nouveau mouvement des masses semble dire au spectateur que l'histoire peut toujours se répéter.