Le film en un plan
Quoi de mieux que ce plan à 90 degrés de Yu Er, la compagne de Ma Dasan pour représenter l’univers délirant du film ? Après avoir nourri secrètement les deux prisonniers qu’il aurait du exécuter Ma Dasan se réfugie chez Yu Er et reste allongé sur le lit tétanisé, il échange alors plusieurs regards avec sa maîtresse Yu Er qui se retrouve la tête penchée sur la sienne. Leurs visages sont très proches et la caméra subjective passe d’un regard à l’autre, l’effet est renversant (le visage de Yu Er se retrouve à l’envers à l’écran). Jusqu’au moment où de façon inattendue Ma Dasan penche sa tète à 90 degrés, comme pour marquer cet instant de folie.
Le film en une séquence
L’ensemble des villageois sont regroupés à l’intérieur d’une maison. Ils s’en prennent à Ma Dasan, choisi par tirage au sort pour exécuter les deux prisonniers, parce que celui-ci n’a pas rempli son devoir.
Tout d’abord on ne peut pas omettre le grand aspect comique de cette scène. Chacun cherchant à montrer son courage sans grand succès. La tante dans un élan de colère veut montrer qu’elle n’a pas peur des japonais en ouvrant timidement la fenêtre pour les défier. Ma Dasan finalement semble à bout et dit qu’il est prêt à tout si personne ne se calme, alors sournoisement, les autres lui rappellent son devoir, mais décontenancé et se rendant compte de l’absurdité de son exclamation, dit qu’il veut juste s’enfuir. Et que penser de l’enfant qui reçoit une raclée parce qu’il a appris auprès du prisonnier une phrase en japonais “Japonais dans la muraille”, ou encore d’un grand père qui lorsqu’on lui demande son avis ne fait que répondre par un proverbe.
Dans cette séquence, c’est de la nature humaine dont il est question et de ses contradictions, Ma Dasan n’a pas le courage de tuer les deux prisonniers, ils le lui reprochent mais sans être pour autant plus courageux à l'égard de la situation et en rejetant la faute sur l’autre. Mais cette scène donne également un sens tout particulier au titre du film, lorsque Yu Er va prendre la défense de son amant. Elle va leurs dire le non sens de traiter Ma Dasan comme un “démon” parce qu’il refuse de les tuer, et qu’elle même si il venait à exécuter les prisonniers le considérera comme tel. Elle leurs montre leurs contradictions et qu'ils cherchent en fait seulement un bouc émissaire.
Le film en une idée
Toute la virtuosité du film est de rendre comique les instants les plus tragiques de ces villageois chinois. Ce traitement audacieux permet au réalisateur de se débarrasser des lieux communs de la guerre sino-japonaise, nombreux dans le cinéma chinois. Jiang Wen semble les prendre à contre pied et les amène jusqu’à l’absurde pour dépasser le moindre soupçon de patriotisme. Ce qui l'intéresse est la nature profonde des êtres humains en période de guerre, leur lâcheté, leur sournoiserie, leur monstruosité etc…
Les craintes des villageois chinois les mènent à des réactions absurdes, jusqu’au délire, pour notre plus grand plaisir, car on rit beaucoup dans « Les démons à ma porte ». On pense à cette grande solennité lors de l’interrogatoire des prisonniers et à l’incompréhension qui en suit lorsque l’ancien du village leur demande qui est le “Je” qui les a kidnappé ou lorsqu’ils emmaillotent les deux prisonniers pour qu’ils ne tentent pas de se blesser eux mêmes. Les japonais ne sont pas en reste, à commencer par une parade fanfaronnante des soldats venant relever une tour de garde tous les jours devant des enfants attendant des bonbons comme récompense ou encore lorsque le prisonnier insulte violemment les villageois alors que son interprète tourne en dérision ses propos lors de la traduction.
Mais certains passages sont aussi très impressionnants tant ils passent subtilement de la farce au tragique. La dernière scène en est un bon exemple, lorsque le capitaine japonais passe de la plaisanterie à l’interrogatoire sanglant d’un villageois complètement saoul sous le regard du prisonnier japonais.
Le film en un personnage
C’est un personnage un peu anecdotique. C’est un grand père cul-de-jatte qui ne cesse de répéter qu’il faut tuer les deux prisonniers et qui semble le plus courageux de tous car c’est le seul malgré son handicap qui prendra les armes face aux japonais. Ses apparitions sont aussi très drôles, fonctionnant sur un comique de répétition. Finalement dans sa démence celui-ci est aussi le plus lucide.
Encore quelque chose…
A noter le choix du noir et blanc pour la photographie du film, ici assurée par le talentueux chef opérateur Gu Changwei qui encore une fois offre un travail remarquable. Le film avait remporté le Grand Prix au Festival de cannes en 2000.
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